dimanche 25 mars 2007

Les frontières ne sont plus étanches...

Dans un message de solidarité adressé aux salariés européens, Ralph Maly, vice-président du syndicat américain CWA regrette que la « stratégie de Lucent », qui consiste à « devenir une société virtuelle », se soit imposée. Là-bas, outre-Atlantique, les licenciements de 6 000 salariés ont commencé. Les témoignages entre collègues français concordent : Ils sont prévenus par mail et sommés de quitter l’entreprise du jour au lendemain.

Pour lui, « Alcatel-Lucent est devenu antisyndicaliste » et l'objectif du groupe est de cantonner le personnel syndiqué dans une société (Lucent Technologies) privée de toute innovation produit. « Ils ont décidé de nous laisser mourir lentement mais sûrement pour devenir une entreprise 100 % non-syndiquée », déplore-t-il en constatant que 65 installateurs syndiqués n'ont pas été transférés chez Lucent Government Services (LGS), l'entité créée pour abriter les contrats avec le gouvernement américain.

  • Alcatel-Lucent a donné son accord lors de la fusion pour une entité séparée et indépendante Lucent Government Services qui est établie pour superviser les contrats sensibles avec le gouvernement américain.
  • Il se plaint du manque de dialogue avec la direction qui n'a pas précisé l'impact aux Etats-Unis du durcissement du plan social. « Nous sommes dans le flou », regrette-t-il. Pour lui, la direction cherche à affaiblir le syndicat d'ici à 2012, date de la renégociation du contrat de travail pluriannuel. Elle met des bâtons dans les roues du CWA pour l'empêcher de représenter le personnel hérité d'Alcatel et refuse de reconnaître le cadre de relations sociales plus souple qui existait chez Lucent. La Tribune. Antisyndicalisme en Amérique ?, 16 mars 2007.
  • L'Humanité, Alcatel-Lucent, manifestation européenne, 16 mars 2007.

  • Un texte d'Alain Hurstel, secrétaire du comité européen Alcatel-Lucent, syndicaliste CFDT.

L’Europe n’est pas un frein au développement d’une politique industrielle en France, mais elle pourrait être une chance si le besoin d’une politique industrielle européenne en Europe arrivait à s’imposer. L’évidence en vient même à l’esprit étroit des nationalistes qui se rendent compte que la France n’a pas de leviers suffisants pour relever ce défi de la mondialisation.

Parce que nous en appelions à l’Europe lors des restructurations passées d’Alcatel, sur le thème « Europe sociale, où es-tu ? » nous nous sommes dit au comité européen d’Alcatel que nous avions pour obligation de voir ce qui se passait dans les sphères syndicales et les instances européennes. Ainsi j’ai pu participer en 2006 au titre de la FEM (Fédération européenne de la métallurgie) au groupe de travail mis en place par la Commission européenne pour « développer le secteur des TIC » (technologies de l’information et des communications). J’y ai découvert que nos trois priorités : volontarisme industriel, intelligence pour se défendre face à la mondialisation, implication des forces sociales, étaient trois thèmes qui dans la langue ultralibérale bruxelloise s’entendent comme trois gros mots : dirigisme, protectionnisme et danger syndical.

Pourtant cette frontière idéologique n’est pas étanche, ainsi nous partagions avec la direction d’Alcatel le même diagnostic : le marché européen des télécoms non seulement est devenu un des plus féroces au monde, mais les acteurs européens ont contribué à le durcir selon le credo que la concurrence et le marché ouvert vont tirer par leur vertu intrinsèque l’économie européenne. Ainsi un des administrateurs d’Alcatel-Lucent, Jo Cornu, a lancé fin 2005 un appel solennel avec l’ancien premier ministre finlandais Aho, pour que la Commission européenne réagisse dans le domaine des TIC « avant qu’il ne soit trop tard ». Ils ont émis des propositions intéressantes comme le lancement de « programmes phares » coordonnés, basés sur les acquis technologiques de l’industrie européenne.

Las, un rapport de la commissaire Reding fin novembre 2006 se contentait de conclure que l’Europe a pris du retard et que les États membres sont invités à démultiplier les efforts dans diverses directions savamment décrites. Bref, en Europe on joue au ping-pong pendant que des secteurs de haute technologie commencent à défaillir, que nos emplois qualifiés sont mis hors jeu et qu’en Chine l’État fortifie ses missiles technologiques Huawei et ZTE. Mais les verrous idéologiques européens n’empêchent pas d’agir même avec des moyens réduits sur le plan national ; ainsi les pôles de compétitivité sont une expérience salutaire mais trop modeste. L’irrigation réciproque universités-entreprises qu’ont réussie les pays nordiques est un autre chantier indispensable. Pour la pompe à fric de la direction d’Alcatel-Lucent, l’Europe est un marché comme un autre, mais avec trop d’ingénieurs « high costs » ; alors il faut aller vers les « midd » ou les « low ». L’impuissance européenne contribue à les déculpabiliser sur les délocalisations. Mais le phénomène nouveau, c’est la prise de conscience des salariés. Malgré les promesses d’indemnités ou de préretraites généreuses, on se mobilise pour conserver un avenir à son emploi, et à celui des générations qui vont suivre. Pour l’emploi durable en Europe. Le terrain bouge, la politique industrielle européenne comme l’Europe sociale ne sont pas à Bruxelles ou à Strasbourg, elles sont en gestation lente dans les mouvements d’aujourd’hui.

Aucun commentaire: