Ce texte se trouve dans l'ouvrage de Pierre Suard, L'envol saboté d'Alcatel Alshtom, aux éditions France-Empire, en 2002 (p. 288-290).
Ce jour là, il mettait de fait fin à ma carrière professionnelle. Si douloureuse qu'elle fût sur le plan personnel, cette décision m'apparaît encore davantage dommageable pour le groupe Alcatel Alsthom lui-même, du moins tel que mes collaborateurs et moi le concevions et l'avions développé.
Nous l'avions, en moins d'une décennie, radicalement transformé. Groupe essentiellement français, aux activités encore assez diversifiés au début des annés 80, il était devenu dix ans plus tard un acteur reconnu sur la scène mondiale, leader dans l'industrie des télécommunications et des câbles, parmi les deux ou trois leaders pour les transports et l'énergie. Il était présent sur tous les marchés. Il contrôlait ses technologies et surtout avait acquis une expertise unique dans celles, comme les transmissions optiques et l'ADSL, qui allaient permettre l'acheminement des hauts débits de l'ère Internet, ou comme les communications mobiles qui devenaient le marché principal du monde des télécommunications dans les années 2000. Alcatel Alsthom fabriquaait également des turbines à gaz de plus de 200 MW, les plus gros paquebots de croisière, ainsi que le TGV, le train à grande vitesse détenteur du record mondial de vitesse, le plus vendu dans le monde.
Mais nous voulions aussi que ce groupe international ait une profonde unité qui implique, condition éminemment difficile, l'adhésion sincère de la majorité du personnel aux objectifs et aux valeurs qui sous-tendent la politique d'ensemble. Nous voyions son avenir dans le maintien de son portefeuille d'activités télécommunications, énergie, transports et services associés et la continuation de sa politique d'indépendance technologique, à l'image de ses grands concurrents américain, allemand ou japonais. Nous voulions également qu'il renforce la dimension financière acquise, qu'il continue à satisfaire les espérances légitimes de ses actionnaires auxquels il demandait de partager les ambitions du groupe dans la haute technologie qui exigent continuité et durée. Nous étions attachés à valoriser l'investissement des actionnaires, mais cette création de valeur devait se mesurer sur le long terme et non chaque trimestre et il fallait qu'elle soit partagée avec les salariés, premiers acteurs de son émergence. Nous voulions enfin que, malgré sa dimension internationale, le groupe ne perde pas sa culture européenne et plus particulièrement française. C'est cet ambitieux projet partagé par beaucoup qui en réalité sombra le 10 mars 1995. .../... La suite fut édifiante. Alcatel Alsthom perdit successivement la plupart de ses activités, son nom, son rang mondial et, sans que l'on sache, sept ans plus tard, où s'arrêtera cette descente aux enfers. Quel gâchis !
Pierre Suard devient en 1986 PDG de la Compagnie générale d'électricité (CGE) qui devient en 1991 Alcatel Alsthom, et sera renommé en 1998 Alcatel. En 1995, accusé de surfacturation auprès de France Télécom, il doit démissionner, et est remplacé par Serge Tchuruk.
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